2009-08-07

Et si les crises financières n'étaient pas nouvelles ?


Crise, Crise, Crise… Crise financière, crise économique. Une crise dévastatrice qui a dépassé le périmètre de l’économie virtuelle pour toucher l’économie réelle. Les taux de chômage sont en hausse partout dans le monde. Aucun ne fut épargné ; ni les pays émergeants, ni les pays sous développés. De Sydney à New York et en passant par Hong Kong, El Manama, Francfort et Londres aucun n’a réussi à éviter la crise. Ni les formules sophistiquées de calcul du risque, la VAR en tête de liste, ni les réformes réglementaires récentes, Bale 2 et Mifid pour ne citer que ces deux, n’ont réussi à nous aviser d’un effondrement quasi-total des principales places financières mondiales ; un effondrement qui s’est propagé comme une épidémie. Une Crise, à échelle planétaire, qui a réussi à fragiliser monnaie, budget et établissements bancaires. Une crise qui, bizarrement et pour la première fois, a poussé Européens Américains et pays émergeants (notamment ceux qui ont réussi à s’échapper de la mondialisation) à se mettre sur une même table et à mettre en question le modèle économique planétaire voire même les notions mêmes du capitalisme… Stop ! Et si les crises en finance ne sont pas nouvelles ; et s’il s’agit d’un phénomène récurrent et d’une maladie chronique qui se sont aiguisés grâce à l’incarnation de l’économie du marché et de la mondialisation ? Analysons en revenant aux vieux registres de la finance. Tirons les leçons des « Loose Story » du passé afin de mieux gérer la crise d’aujourd’hui. Posons les bonnes questions pour trouver les bonnes réponses.

Les toutes premières crises de la Finance

L’année 1620 connut la première crise financière de l’histoire. Grâce à son port et son emplacement géographique, Gêne était un hub commercial pour la marchandise venant du monde entier notamment du continent Américain (surtout l’or et l’argent venant de l’Amérique). Les Lombards, alors reconnus pour leurs qualités de comptables et de spéculateurs se spécialisaient dans l’activité du crédit et finançaient les princes d’Europe aussi bien que les industriels du textile. La récession de l’activité venue de l’Espagne fragilisait brusquement la position de Gêne en tant que centre de capitalisme en provoquant une pénurie de ressources et de mains d’œuvre. Gêne se voyait, alors, dépassée par Amsterdam. Depuis, les écarts en volumes d’échanges et de niveau de vie se sont creusés entre les pays nordiques, le Pays-Bas comme centre, et les pays du bassin de la Méditerrané.

Que ce soit à Londres ou à New York, ces crises ont été suivies par une restructuration des deux places financières et la création d’institutions financières à savoir la banque centrale à la City et la réserve fédérale à Washington.

En 1637, Amsterdam connut à son tour une crise financière. Les hollandais, connus par le commerce des bulbes de tulipe (fleur originaire de Constantinople), créèrent les premiers contrats à termes (contrats d’achats notariés entre deux acheteurs s’effectuant à la fin de la saison) et une bourse de commerce où se négociaient ces contrats de vente des bulbes de tulipe. Le but était de faire face aux demandes croissantes des bulbes et aux cycles de culture de la fleur. La spéculation sur ce produit de lux était tellement poussée au point que certaines variétés se négociaient jusqu’à vingt fois le salaire annuel d’un artisan. La crise (la tulipomanie) se déclencha en Février 1637 lorsque le cours des bulbes connut un effondrement brutal. En conséquence, plusieurs contrats à termes n’ont pas été honorés et un nombre important d’individus et d’institutions ont fait faillite. Ainsi, la politique expansionniste qui favorise la spéculation et néglige le risque (les autorités finissaient par retirer la clause d’obligation d’achat des contrats à termes de la tulipe) a prouvé ses limites et a fini par créer la première bulle spéculative de l’histoire qui a fait effondrer tout le système.

En 1717, afin de diminuer ses charges de dettes, le gouvernement Britannique échangea avec la Compagnie des Mers du Sud (South Sea Company) 10 millions de Livres en bons de trésor d’état contre des actions de la compagnie rémunérés à 6% et contre l’octroie à la dite compagnie du monopole des échanges commerciaux avec les colonies espagnoles en Amérique. En 1719, la Compagnie de Mers du Sud détenait déjà 11.7 % de la dette de la Grande Bretagne. Suite à la propagation de rumeurs quant au volume d’activité de la compagnie Londonienne, les cours de la compagnie s’envolaient pour passer de 128£ en Janvier 1719 à plus de 900£ en 1920. Cette frénésie spéculative poussait les investisseurs à s’intéresser aux actions de la Compagnie des Mers du Sud et à d’autres actions. Mais à l’atteinte du seuil psychique de 1000£, le marché se retournait brutalement et le cours de l’action s’effondrait à 150£. L’éclatement d’autres bulles à Paris et à Amsterdam ruinait les investisseurs qui ont acheté des actions à crédit et les banques qui ont prêté sur gage d’actions. Conséquences : la compagnie passa sous le contrôle de l’état, ses dirigeants furent été jugés, le parlement fut été dissous et le gouvernement décida de structurer les activités de la City.

Avec le soutien du parti démocrate, le président des Etats-Unis d’Amérique Andrew Jackson décida en 1836 de subordonner la vente des terres de l’état à un payement en métaux précieux au lieu des billets de banque. Le but de la loi était de responsabiliser les banques qu’ils accusaient de créer de l’inflation et de la spéculation en mettant en circulation des billets non couverts par des réserves de métaux. Cette décision constituait un frein devant les investisseurs étrangers, notamment les Anglais, pour l’achat de terres d’état. En 1837, lorsque la banque Centrale d’Angleterre décida d’augmenter ses taux sur les dépôts, les capitaux fuirent les Etats-Unis vers la Grande Bretagne où les placements sont devenus plus attractifs. Cette crise est connue par « la panique de 1837 ». Les analystes l’expliquent par l’erreur de diagnostique de Jackson qui expliquait l’inflation par l’excès de billets de banques américaines alors qu’elle était due à l’importance des flux des capitaux britanniques. Deux mois seulement après le déclenchement de la crise, on estimait à 100 millions de Dollars le total des faillites à la seule ville de New York. Pire encore, le système bancaire des Etats-Unis subit, un choc duquel il ne se remet jamais totalement : sur les 845 banques Américaines existantes à l’époque, 343 fermèrent leurs portes et 62 firent une faillite partielle. D’ailleurs, la place Américaine ne se remet debout que suite à la crise Londonienne de 1890 qui a entrainé l’émergence de Boston comme cœur de l’économie mondiale et de Wall Street comme centre financier planétaire. Que ce soit à Londres ou à New York, ces crises ont été suivies par une restructuration des deux places financières et la création d’institutions financières à savoir la banque centrale à la City et la réserve fédérale à Washington.

Les crises du XXème siècle

Si le XIXème siècle a connu la création de la plus part des grandes banques américaines d’aujourd’hui notamment J.P. Morgan, Rockefeller, Chase, City, Lehman Brothers, Morgan Stanley, le XXème siècle a connu la « guerre mondiale des banques ». Dès l’avènement du XXème siècle, les institutions américaines se sont devenues des instruments de collecte massive de l’épargne et de placement de titres et elles commencèrent à se substituer aux banques britanniques : Elles prêtaient généreusement en Amérique et aux quatre coins du monde et elles mêlaient investissement et dépôt. Rassurée par la croissance de la valeur de son portefeuille boursier, la classe moyenne n’hésitait pas à s’emprunter au-delà de ses capacités réelles et elle affichait un engouement pour l’immobilier en Floride. Le système financier, d’or et déjà déséquilibré et instable, finit par s’écrouler à la suite de la constitution du cartel des grandes compagnies pétrolières (les sept soeurs) en 1928 : la constitution de ce cartel a fait grimper le prix de l’essence et a effondré la production automobile. Le long de l’année 1929, la crise s’aiguisait aux Etats-Unis et se propageait pour atteindre d’autres économies : la dette américaine a frôlé les 300%, 345 banques américaines fermaient les 6 premiers mois et 4000 déclaraient faillite dans l’année, le 24 Octobre à la mi-journée le Dow Jones affichait un recul de 22,5 %, les petits porteurs se bousculaient à Wall Street pour y brader leurs actions, l’Allemagne de Weimar déjà ruinée par la guerre tomba en une longue déprime. La même année, la crise financière donna naissance à une crise économique avec une forte hausse du chômage estimée à 25%. Chaque pays chercha, alors, son salut dans les mesures de protectionnisme ; à titre d’exemples, l’Allemagne instituait un contrôle total des changes et un groupement de pays européens créait une zone Sterling pour mettre fin à la convertibilité Or de la Livre Sterling (Fin du GES). Malgré les efforts du président Roosevelt, les Etats-Unis ne se libèrent de la crise de 1929 qu’à leurs entrées à la deuxième guerre mondiale. Au 1er juillet 1944, le monde prit conscience de l’importance de l’instauration d’une organisation monétaire mondiale et de l’urgence de favoriser la reconstruction et le développement des pays touchés par la guerre : la conférence de Bretton Woods donna naissance à des accords internationaux qui ont dessiné les grandes lignes du système financier de nos jours. Les deux protagonistes principaux de cette conférence ont été John Maynard Keynes, qui dirigeait la délégation britannique, et Harry Dexter White, assistant au secrétaire au Trésor des Etats-Unis. Les accords de Bretton Woods stipulent l’organisation du système monétaire mondial autour du Dollar Américain avec un rattachement nominal à l’or et la création de deux organismes de stabilisation à savoir la Banque Mondiale (formé de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement -- BIRD et l’Association Internationale de Développement -- IDA) et le FMI (le Fond Monétaire International). Ces organisations ont été construites sur les dépôts des Etats membres. Un troisième organisme aurait dû être créé ; mais en l'absence d'accord, il ne verra le jour qu'en 1995 avec la création de l’organisation mondiale du commerce (OMC) et suite aux cycles de négociations du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT). Les accords de Bretton Woods n’ont été abandonnés en partie qu’à l’abondement des taux de change fixes en 1971 suite à la crise de change qu’a connu le monde.

Le Lundi 6 Octobre 2008 (the Black Monday) a prouvé que, mondialisation et économie de marché aidant, aucun pays n’est à l’abri des turbulences du monde de la finance : Paris CAC 40 (-9,04%), USA Dow Jones (-6,07%), London FTSE (-7,85%), Francfort DAX (-7,07%), Riad TASI (-9,81%), Dubaï DFM (-7,61%), Abou Dhabi ADSM (-5,61%), Johannesburg JSE (-7,30%), Moscow RTS (-19,10% et la cotation a été interrompue trois fois au cours de la journée), Tunis TUNINDEX (-4,88) et Casablanca MASI (-2,30%).

Les crises récentes

Ces quarante dernières années, le monde connut quatorze crises financières soit une moyenne d’une crise toutes les 2,85 années. De la crise de change de 1971 à la crise financière planétaire de 2008, qui s’ajouta à la crise des subprimes, en passant par la crise des Saving & Loans (caisses d’épargne Américaines) de 1986 et la crise financière de l’Asie de 1997, le monde de la finance a trouvé du mal à digérer des crises dont l’étendu et l’envergure ont menacé les pays émergeants aussi bien que les pays développés. D’ailleurs, à titre d’exemple, la crise de la dette des pays du sud en 1982 a bouleversé l’économie mondiale dans son ensemble et l’éclatement de la bulle boursière Internet à Wall Street de l’année 2000 a failli exterminer de la carte NTIC des multinationales trop surévaluées sur le marché américain et des sous-traitants et des constructeurs asiatiques trop dépendant de ces dernières. D’autres scandales financiers tels que l’affaire Nick Leeson (Marché à terme à Singapore, un trou de 1,1 milliard d’euro sur le SIMEX) en 1995 et l’affaire Jérôme Kerviel (Produits dérivés, une perte de 4,9 milliards d’Euro à la Société Génerale Investment & Corporate Banking) en 2008 ont montré que les procédures de contrôle actuel sont très insuffisantes. Pire encore, la turbulence récente qu’a connu le monde de la finance avec le sauvetage et la nationalisation des banques (Dexia, Northern Rock, IKB, Sachensen LB) et la faillite de Lehman Brothers ont montré la fragilité des banques notamment les banques non universelles. Le Lundi 6 Octobre 2008 (the Black Monday) a prouvé que, mondialisation et économie de marché aidant, aucun pays n’est à l’abri des turbulences du monde de la finance : Paris CAC 40 (-9,04%), USA Dow Jones (-6,07%), London FTSE (-7,85%), Francfort DAX (-7,07%), Riad TASI (-9,81%), Dubaï DFM (-7,61%), Abou Dhabi ADSM (-5,61%), Johannesburg JSE (-7,30%), Moscow RTS (-19,10% et la cotation a été interrompue trois fois au cours de la journée), Tunis TUNINDEX (-4,88) et Casablanca MASI (-2,30%). Une telle panique, conjugué à l’absence de confiance qui a régné sur le marché interbancaire international à la fin de l’année 2008 a montré que l’avenir de la planète finance se joue sur un fil de rasoir.

Des leçons, des conséquences et des interrogations

En revenant sur les différentes crises énumérées ci-dessus, nous remarquons que la l’effondrement brutal d’une activité backbone d’une économie entraine la dés-stabilisations du système monétaire et financier. D’où l’intérêt de la diversification de l’économie et des marchés.

En temps d’un Tsunami financier désastreux, le magma d’idées et d’interrogations est un premier pas vers la résolution. Aujourd’hui, partout dans le monde on parle d’ « éthique financière », de moyens efficaces qui nous permettent d’empêcher le transfert du risque et de garantir la fluidité du marché interbancaire et l’équilibre entre le volume des emprunts sur le marché bancaire et le marché boursier.

Plusieurs crises ont prouvé que la politique expansionniste et la ruée effrénée vers l’enrichissement se traduit, effet iceberg aidant, par une bulle spéculative. De mêmes les politiques permissives des banques et l’engouement affiché à l’économie virtuelle et aux montages et aux produits financiers complexes à haut risque (notamment les Black-Scholes et les Junk Bonds) fragilise le système financier et monétaire.

Last but not least, les paradis fiscaux et l’absence d’une politique financière et monétaire commune et/ou l’incapacité des institutions financières internationales à faire passer et à faire respecter les réglementations qu’elles dressent renforcent l’inégalité de la distribution de la richesse, approfondissent le gap entre le Nord et le Sud, fragilisent les économies sous développées et privent les économies développées de plusieurs opportunités de croissance notamment en période de crise.

D’autres conséquences de la crise financière que nous vivons peuvent être qualifiées de métamorphoses. A titre d’exemples, nous citons la révision de la rémunération des traders et l’élargissement du club des décideurs de la planète finance à 20 Etats pour inclure le Brésil, l’Arabie Saoudite et l’Afrique du Sud et ce à la recherche d’une meilleure gouvernance.

En temps de crise, il est important de poser les bonnes questions et de rester méfiant ; d’ailleurs, l’embellie qu’a connue les bourses internationales ces deux derniers mois nous donne droit à l’espoir mais elle est loin d’être rassurante. Sommes-nous devant une maladie chronique qui exige une vaccination voire même la recherche d’un nouveau vaccin qui arrête le mal engendré par la défaillance de nos anticorps ? Sommes-nous devant un mal sécuritaire où seules la vigilance et la veille continues sont les remèdes exactement comme c’est le cas pour les virus informatiques dont la virilité et l’étendu de la contamination sont méconnues et imprévisibles ? Désormais, en temps de grippe porcine et de bourses électroniques, l’évocation des registres médical et informatique s’impose.

dans l’attente d’un éclaircissement du paysage de la finance à l’échelle planétaire, toute bonne nouvelle est désormais « a pencil of light in the darkness » et en espérant aboutir à un système financier et monétaire plus équilibré contentons nous de dire « Small is beautiful, but safer is charming » !

En temps d’un Tsunami financier désastreux, le magma d’idées et d’interrogations est un premier pas vers la résolution. Aujourd’hui, partout dans le monde on parle d’ « éthique financière », de moyens efficaces qui nous permettent d’empêcher le transfert du risque et de garantir la fluidité du marché interbancaire et l’équilibre entre le volume des emprunts sur le marché bancaire et le marché boursier. On parle, également, de l’expérience des Japonais qui ont réussi à survivre avec un Nikkei en baisse et une économie en récession depuis vingt ans.

« Small is beautiful »

Devant une machine financière mondiale grippée faut-il sourire au moindre faisceau de soleil afin d’éviter une dépression accablante ? Devant un modèle capitaliste à réviser et une politique économique basée sur la mondialisation (malgré tout le bien qu’elle nous a apporté la mondialisation), sommes-nous devenus nostalgiques à des vieux adages du genre « Small is beautiful ».

A l’échelle régionale, grâce à une politique financière prudente et des marchés maitrisés, Tunisie Maroc et Egypte ont réussi à résister à la crise financière. Mieux, le gouvernement Tunisien a eu le mérite de lever des fonds en pleine crise : l’appel d’offre international d’octroi d’une nouvelle licence de téléphonie globale a suscité l’intérêt des opérateurs Turcs, Français et Moyens Orientaux. De plus, peu de temps après l’annonce du consortium gagnant (Divona/Orange), le patron d’Orascom Najib Sawaris a annoncé l’introduction de son entreprise Tunisienne, Tunisiana, au marché principal de la bourse de Tunis avant la fin de l’année en cours. Les marocains, champions du tapage médiatique, espèrent enregistrer en tourisme les mêmes résultats des années précédentes : leur slogan innovateur « la Maroco-thérapie» fait déjà parler de lui. La crise financière planétaire est elle une opportunité réelle pour les économies émergeantes pour mieux négocier leurs transactions ? Est-elle, au même, temps une occasion pour les pays développés pour stimuler la croissance et tisser des relations de voisinage de type gagnant-gagnant ? Wait and See !

En définitive, dans l’attente d’un éclaircissement du paysage de la finance à l’échelle planétaire, toute bonne nouvelle est désormais « a pencil of light in the darkness » et en espérant aboutir à un système financier et monétaire plus équilibré contentons nous de dire « Small is beautiful, but safer is charming » !